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Appuyée sur la main blanche de sœur Liebe, j'eus l'impression que la dalle de ciment que j'avais vainement essayé de soulever, à la recherche de liberté, de l'air et de la lumière, présentait des possibilités d'être franchie. Sans presque m'en apercevoir, je traversai l'obstacle qui m'avait fait tant souffrir auparavant et bientôt j'aspirai à pleins poumons, l'air de la Maison des Morts, mélangé aux senteurs des fleurs épanouies ou fanées…
Mes oreilles spirituelles entendirent les coups de minuit ! Un vent froid soufflait et faisait plier les cyprès sombres baignés de clair de lune.
Comme ma vision s'élargissait, je remarquai que des foules se promenaient parmi les tombeaux, formant des groupes variés qui se confondaient dans des bavardages…
Quelques-uns, l'air moqueur, passaient en riant fort et en jetant des regards haineux, en même temps qu'ils prononçaient des expressions vulgaires, pleines de raillerie et de colère. Ils avaient des mines effroyables, ridicules, difformes ; Ils surgissaient tout d'un coup, puis tout de suite disparaissaient dans l'obscurité… D'autres se tenaient à genoux, recueillis selon les usages de leurs religions, baignés de larmes, dans des prières désespérées…
– « Regardez le mausolée à côté !… » me dit sœur Liebe avec simplicité.
Je vis une vieille dame aux cheveux blancs et vénérables, à genoux auprès d'une croix tordue par les années ; elle priait en proie à l'émotion et à la tendresse. De ses lèvres, couronnant le bruissement de la prière, des scintillements lumineux descendaient sur la dalle du tombeau. Modestement habillée, elle laissait cependant deviner au premier regard, la hiérarchie spirituelle élevée à laquelle elle appartenait.
Touchée par la beauté de cette personne âgée, je fus naturellement désireuse de connaître l'origine d'une si noble personne. Avant même que je ne pose la question, l'amie spirituelle m'indiqua :
– « Il s'agit d'une mère dévouée qui cherche à aider sa fille, restée attachée aux souvenirs de la Terre, après cinq ans de désincarnation, et longtemps entourée d'Esprits malheureux auxquels elle avait refusé la possibilité de renaître…
[…]
Elevée selon les règles terre à terre de la planète, malgré les efforts et les exemples de sa mère, elle avait préféré, tout de suite après le mariage, les jeux trompeurs des illusions au détriment des responsabilités sacrées de la famille. Invoquant les difficultés d'argent, elle n'avait accepté d'avoir qu'un seul enfant qui faisait tout son bonheur plein de vanité ; en conséquence, elle fermait les portes de la naissance à d'autres êtres qui en avaient besoin. Plusieurs fois, elle avait été invitée à être mère, mais elle s'y opposait malgré les conseils de sa maman encore incarnée en ce moment-là…
Des conseils, des remontrances et des appels ne changèrent point son attitude intérieure… A deux reprises, elle se sentit visitée par la présence du fœtus… révoltée, elle l'expulsa…
Douze mois ne s'étaient pas écoulés après le crime affreux de l'avortement, que la jeune femme se sentit encore une fois enceinte ; dès qu'elle aperçut la présence de la vie en elle, elle se laissa aller à une violente colère et employa tous les moyens pour se débarrasser de l'intrus…
[…]
Sa mère, désincarnée, bénéficiant d'une belle élévation spirituelle, intervint et obtint de parler à sa fille en rêve… Elle supplia sa fille d'accepter le devoir de sa vie. Devant ces remontrances pleines de tendresse, la jeune femme s'engagea à marcher dans la bonne voie, sans cependant, le jurer.
Le matin, au réveil, bien que gardant les impressions reçues dans son subconscient, elle revint aux idées habituelles, cherchant, affolée, le concours d'une malheureuse femme vouée au crime de l'avortement…
L'acte macabre perpétré, elle revint chez elle et reprit sa place dans le monde vertigineux des apparences…
Puissamment attachée à son corps matériel, elle le reste jusqu'à présent, sous l'étreinte de l'Esprit vengeur implacable auquel elle a essayé, en vain, d'échapper…
– « Et quand pourra-t-elle être libérée ? » demandai-je, inquiète.
– « Seul Dieu le sait ! » répondit Liebe tristement…
– « La prière de la mère dévouée pourra-t-elle lui apporter des soulagements quand le temps lui aura permis d'atténuer le désespoir dans lequel elle s'est jetée de par sa faute ?
– « Naturellement » assura-t-elle, pleine de bonté, « la prière, en toute circonstance, constitue un rafraîchissement et un baume… »
Profondément émue, j'essayai de prononcer une prière intercessoire… J'ai pu constater en moi, combien la prière constitue une source de bénédictions à notre portée, mais que nous ne savons pas toujours bien utiliser…
En me tirant de ces réflexions, sœur Liebe m'invita à sortir du Cimetière, m'entourant de son bras avec une grande tendresse…

N.d.l.r. - L'expérience que nous relate Otilia est un peu particulière dans la mesure où il s'agit là d'une mort subite… [appelée aussi mort violente] Le détachement de l'Esprit d'avec le corps est plus difficile que lorsque l'Etre se désincarne après une maladie qui l'a fait souffrir… et il faut que l'on y pense en cas d'incinération car si cela se fait trop tôt, l'Esprit ne pouvant se libérer de son corps matière, ressent les affres des brûlures au moment ou ses proches ont décidé de brûler sa dépouille…
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