– « Pour les détenus, la situation s'aggrave »
 »

Véronique Vasseur


 



 




Véronique Vasseur…
ancien médecin de garde à la prison de la Santé


 


J'accuse !…
   


Pensez-vous que les choses ont changé depuis la publication de votre livre sur les prisons en 2000 ? [n.d.l.r. - Médecin-chef à la prison de la Santé]
Absolument pas. On peut même dire que la situation a plutôt empiré avec l'augmentation de la population pénale. J'ai découvert qu'il y avait des prisons dans des états beaucoup plus calamiteux que celle de la Santé comme la prison de Saint-Joseph à Lyon ou celle de Loos-les-Lille.


Comment expliquez-vous que les commissions d'enquête parlementaires n'aient pas été suivies par des actes ?
Je l'explique simplement par un manque de volonté politique. Lors de la publication de mon livre, les députés et les sénateurs de tout bords politique étaient affligés. Finalement, la loi pénitentiaire a été mise au panier. Aujourd'hui, ce sujet est devenu une bombe à retardement. Arrêtons les colloques. Le constat est fait. Maintenant, il faut agir et vite.


Quelle est la priorité aujourd'hui pour soulager les prisons ?
Il faut limiter la détention provisoire qui concerne plus de 34 % des personnes incarcérées pourtant présumées innocentes. Cela réglerait le problème de la surpopulation. La détention provisoire ne doit s'appliquer que pour les individus mis en examen dont on pense qu'ils sont dangereux pour la société.


Pensez-vous que la réinsertion est la « grande oubliée » du milieu pénitentiaire ?
Il n'y a pas de réinsertion en prison, actuellement. Pour l'instant, la prison se résume à une punition et à du gardiennage. Ceux qui arrivent à se réinsérer sont ceux qui possèdent une structure familiale qui les soutient. […] Les détenus ont besoin d'activité ou d'un travail. Il faut arrêter de les abrutir avec des médicaments.


Ne pensez-vous pas que le politique est trop influencé par l'opinion publique ?
C'est évident. regardez l'affaire d'Outreau. On reparle beaucoup de prison en ce moment parce que les acquittés de cette affaire ont évoqué leur quotidien en détention. L'opinion publique a été émue par leurs récits, mais dans quelques semaines on oubliera.
La prison n'est pas un sujet fédérateur. Les gens ne s'apitoient pas sur cette question : ils se disent « S'ils sont là, c'est parce qu'ils le méritent. » Il faut travailler à l'intérieur pour ressentir le délabrement psychologique des détenus.

Propos recueillis par François Vignolle




n.d.l.r. - Nous remercions Véronique pour son témoignage et la félicitons pour son courage…







 

 

 

 

  Trois jours sans se laver…

   
   


Lors de sa tournée des « cachots de France » Alvaro Gil-Robles, le commissaire des droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, n'a pas caché son écœurement et son malaise après la visite du dépôt du Palais de Justice de Paris :
– « Il est urgent de fermer cet endroit répugnant. »



Dans les sous-sols du plus prestigieux tribunal français, croupissent des Étrangers en situation irrégulière et des personnes placées en garde à vue attendant d'être présentées à un magistrat. Les choses ont-elles changé ? Non, selon la Cimade : « les 99 places du centre de rétention affichent complet. Les tensions ne cessent pas ; l'angoisse est permanente. Même les hommes de justice qui accueillent les personnes ont honte… » décrit Sandrine Lesecq. Jean, policier en poste au dépôt, que le journal « Aujourd'hui en France » avait déjà interrogé en octobre, n'a pas vu d'amélioration notable excepté le projet de déplacer les Étrangers dans un centre de Vincennes ces prochains mois et de proposer des repas sans porc aux prévenus musulmans, rien n'a changé si ce n'est l'installation d'une cellule VIP avec une cabine-douche. Cela provoque chez les autres prévenus, un sentiment de discrimination. »

 « Un endroit d'un autre siècle… »
Pour calmer les gardes à vue, le policier offre parfois une ou deux cigarettes ? Jean n'a pu effacer de sa mémoire le souvenir d'hommes se mutilant au rasoir et barbouillant les murs avec leur sang. Malgré les déclarations d'intention des ministres de la Justice ces dernières années, la "souricière" s'apparente toujours à un endroit insalubre où s'entassent des sans-papiers, des braqueurs et des pères de famille en état d'ébriété. Une concentration d'inhumanité en plein cœur de Paris.
   – « Soit on prend des mesures qui s'imposent et on casse tout, soit on continue à laisser rentrer des prévenus et des policiers dans un endroit d'un autre siècle. » dit Luc Poignant secrétaire du Syndicat Général de Police.

La semaine dernière, un homme de 34 ans, interpellé après un différend familial, s'est retrouvé dans une cellule de 7 mètres carrés. Dépressif, il s'est pendu.

Propos recueillis par François Vignolle




 

 

 

  Un concentré de misères !

   
   


– « Le milieu carcéral, c'est un concentré de misères ! » dit Yves Foubert, un ancien détenu.

La détention, il pourrait en parler des heures…
   – « Ça me colle toujours à la peau comme l'odeur mélangée de Crésyl et de graisse brûlée que l'on retrouve dans chaque taule » raconte Yves Foubert.
La prison, il l'a quittée pour de bon en 2003 après y avoir passé 13 ans. Son tour de France à lui, a été carcéral : Marseille, Arles, Saint-Martin-de-Ré, Fleury-Mérogis, Bordeaux…
   – « Tout est difficile en détention, parce que c'est un concentré de misères : sociale, affective, matérielle, sexuelle, sanitaire… Ensuite, les conditions de vie varient en fonction du chef d'établissement. »

 Aux Baumettes, la norme, c'est trois douches par semaines : en fait, un mince filet d'eau à se partager avec trois autres détenus, sans intimité. Tout y est rouillé, hors d'usage… »
Yves était incarcéré dans le bâtiment le plus récent.
   – « Dans les trois autres, c'est toilettes à la turque et robinet juste dessus pour se laver sous les yeux du codétenu, et cuisiner. La promiscuité crée une tension et un rapport de force permanents. Mais c'est encore mieux que l'isolement : c'est la torture ultime des prisons françaises : on tue un homme en l'enfermant 23 heures sur 24. C'est l'antichambre de la tombe. Plus que la nourriture mauvaise, plus que les humiliations permanentes, plus que l'argent qui est aussi un élément de confort en milieu carcéral, ce qui manque le plus, c'est la possibilité toute simple de pouvoir « aimer : dans les infirmeries des prisons, ils vous filent des préservatifs, mais vous n'avez pas le droit de faire l'amour avec votre femme lorsqu'elle vient vous voir. Alors, ça veut dire qu'on a le droit de faire des trucs entre nous, mais pas d'aimer sa femme ! Quand on vous enlève la parole et l'amour, on vous tue. » Yves a tenu grâce à la littérature.

Propos recueillis par Anne-Cécile Juillet




 

 

 

 

 
 
l'amour dans les prisons