Quand le Ciel parle…

…le Ciel pleure

 

Russell Banks…

   
   

« Entre Ben Laden et Bush, des ressemblances inavouées »

Selon Russell Banks, le président américain et le terroriste numéro un ont en commun le même aveuglement…

« Voici quelques notes que je rédige aujourd'hui 15 septembre. J'essaye de réfléchir aux événements de la semaine passée sans me laisser obscurcir l'esprit par la rhétorique chauvine de nos politiciens et de nos prétendus experts, ou par la dramatisation style "série-télé" que les grands médias nous servent en guise de journalisme.

Notre président, maintenant qu'il vient d'émerger de sa tranchée, donne l'impression de quelqu'un dont l'équipe préférée -son équipe locale- vient de perdre un match de championnat et qui jure de la remettre sur pied pour "foutre une raclée" à l'adversaire le plus tôt possible. Ce qui fait penser à son père promettant de "botter le cul" à Saddam au commencement de la guerre du Golfe. [ndlr : un père omniprésent à la Maison Blanche] Il voit cet épouvantable événement comme le début d'un "conflit monumental entre le Bien et le Mal" et son seul électorat loyal, la droite religieuse, passe à la télévision pour déclarer qu'en fait, ces milliers de victimes ont été carbonisées et écrasées parce que Dieu a décidé de punir l'Amérique pour avoir toléré en son sein, la présence de gays et lesbiennes, d'avorteurs et de l'ACLU (Association de défense des droits des citoyens)
Dans ma ville, même les camionnettes ont droit au drapeau américain. Les appels assourdissants au patriotisme, à la religion se font écho et se renforcent ; ils nous gênent de plus en plus pour penser clairement à ce qui vient de se passer et ils nous empêcheront encore plus d'être entendus une fois notre réflexion achevée.
Que fait-on quand l'ennemi nous attaque parce que nos dieux respectifs sont antagonistes ? De plus, que fait-on lorsque chacun de nos dieux respectifs exige la destruction totale de l'autre en promettant en récompense une vie sans mort ?
Nous pouvons couper la tête de ce serpent, il en poussera une autre. Nous pouvons conquérir son territoire […] Nous pouvons anéantir son activité économique […] nous pouvons tuer tous ses soldats, abattre tous ses avions, détruire toute son infrastructure, le lendemain, un étudiant venu d'Egypte s'inscrira pour une formation de pilote en Floride…

En Europe, aux XIV ème et XVème siècles, les guerres de Religion entre catholiques et protestants n'ont connu de fin que lorsque les gens ont arrêté de croire qu'ils n'allaient pas mourir et cela parce que les survivants pataugeaient dans la mort jusqu'au cou et n'arrivaient plus à se différencier des morts. Les croisades ont cessé quand il n'y a plus eu assez de paysans et de bûcherons du nord pour accepter d'aller à pied jusqu'au Proche-Orient et y mourir pour le Christ… […] Une guerre de religion qui ne pourra pas prendre fin avant que l'un ou l'autre de ces dieux ne soit mort et enterré, ou avant que nous soyons assez nombreux à arrêter de défendre notre Dieu unique et d'attaquer l'autre.
Je ne peux donc m'empêcher de croire que nous entrons dans une période qui, dans la mesure où elle est à l'image d'une autre, ressemble à celle des guerres de Religion en Europe. Ce dont nous avons été les témoins à New-York et à Washington n'est que la première bataille déclarée de cette guerre. C'est ainsi qu'on empale des bébés sur des fourches, ou qu'on les passe au napalm au nom de Mammon (dans les Evangiles, il désigne le dieu de la richesse - ici, le dieu Dollar)

Nous, en Occident, qui sommes des adorateurs de Mammon, nous avons même avec la droite religieuse, notre cinquième colonne. Mais il ne s'agit pas d'une guerre entre les Etats-Unis et les Taliban, ni même entre les Etats-Unis et un Ben Laden diabolisé, elle se déroule entre les fidèles de la vie après la mort et les fidèles de la vie matérielle. Ce qu'ils ont en commun, c'est leur refus de croire en la mort, sauf celles des autres. Notre devoir est de les dénoncer tous les deux. […] puis il nous faudra trouver un langage et une imagerie qui montreront de façon indéniable les similitudes entre les deux, et non les différences. N'oublions pas que, si Ben Laden et Bush se tiennent mutuellement en joue, ce n'est pas à cause de leurs différences avouées, mais à cause de leurs ressemblances inavouées. »

 

 

   

Extrait de « Un ange sur le toit » le dernier recueil de nouvelles.
Editions « Actes Sud »

   
 


Atiq Rahimi

   
   


« Pour l'Amérique, l'Afghan est un Taliban… Point »

Cet intellectuel afghan réfugié en France regrette que les médias américains fassent l'impasse sur l'opposition aux Taliban. Il rappelle que son pays a longtemps été l'exemple d'un islam ouvert et moderne.

Télérama - Comment avez-vous vécu ce 11 septembre 2001 ?
Atiq Rahimi - Pour moi, le 11 septembre a commencé l'avant-veille, avec l'assassinat du commandant Massoud… même si sa mort n'était alors pas confirmée. Nous pensions à l'avenir de l'Afghanistan et comment penser cet avenir sans Massoud ?

Télérama - Pour votre génération, que représentait Massoud ?
Atiq Rahimi - J'avais 17 ans quand les Soviétiques ont envahi l'Afghanistan et vraiment, pour nous, Massoud était notre héros, c'était le symbole de la liberté et de l'indépendance. C'était notre Che Guevara !
Ensuite, lorsque de guerrier magnifique il est devenu homme politique, là, nous avons pris une certaine distance.
Et puis, les Taliban ont pris le pouvoir et l'Afghanistan est devenu une école religieuse pour les fanatiques encadrés par les Saoudiens et les Pakistanais. Je n'aime pas le terme « intégriste » qui pour moi est issu d'un vocabulaire catholique, ni celui de « fondamentaliste » qui vient du protestantisme. Massoud était le seul qui était vraiment contre eux, le seul qui pouvait rassembler militairement les différents partis antitaliban.

Télérama - Et alors, vous avez craint le pire…
Atiq Rahimi - Evidemment pas ! J'étais à la Fnac à ce moment-là, je cherchais les œuvres complètes de Dostoïevski, histoire de me changer les idées et quand on m'a prévenu que New-York était bombardé… […] Et j'avais des images en surimpression, celles de la guerre en Afghanistan que j'avais connue. Je voyais l'Afghanistan à feu et à sang, déjà les roquettes qui tombaient sur Kaboul… et qui vont peut-être y tomber dans un avenir proche…

Télérama - Jusque dans les années 70, l'Afghanistan était reconnu pour être l'exemple d'un islam ouvert et moderne…
Atiq Rahimi - Oui, parce que c'était un islam très mystique, proche du soufisme donc qui réserve le spirituel au domaine privé. La particularité de l'Afghanistan est d'être avec la Perse, au centre de l'Asie ; donc on était bouddhiste, zoroastrien, et cela a produit avec l'islam, un mélange extraordinaire dans les coutumes, les arts et la pensée. C'est cela une civilisation : la capacité à absorber différentes traditions…

Télérama - Vous n'êtes donc pas de ceux qui craignent le « choc des civilisations » ?
Atiq Rahimi - Bien sûr que si, si l'on riposte à des terroristes talibanisés en déclarant la guerre aux musulmans. Quand j'entends le président Bush, j'ai l'impression de voir un western ! Il s'agit toujours de la même pensée binaire qui conduit à ne jamais voir le monde dans ses différences ce qui a comme conséquence, d'asseoir une domination. Au fond, c'est adopter la même pensée que les talibanistes, la même que le marxisme-Léninisme, bref, que tous les totalitarismes…

 

 

   

 

   
 

Gamal Ghitany…

   
   

« Les musulmans, premières victimes de l'extrémisme »

Gamal Ghitany est considéré comme le fils spirituel du Prix Nobel Naguib Mahfouz. L'écrivain égyptien dénonce le fantasme selon lequel l'islam serait ligué contre l'Occident et regrette que la réaction aux attentats soit un soupçon généralisé à l'égard de tous les musulmans.

Télérama - Vous sentez-vous particulièrement concerné par les attentats du 11 septembre ?
Gamal Ghitany - Je voudrais dire que je suis concerné simplement comme être humain, mais ce n'est pas ce que l'on me demande. Evidemment, ces attentats sont inadmissibles, dépassent l'entendement, et je ne peux que compatir au malheur qui frappe le peuple américain. Mais aussitôt, je me sens en plus sommé de donner des gages pour assurer que je n'appartiens pas au camp des terroristes. Je trouve très grave que la réaction à ce drame soit un soupçon généralisé à l'égard de tous les musulmans. Qu'un milliard de musulmans répartis dans le monde entier soient aujourd'hui acharnés contre l'Occident me semble relever du fantasme. L'ampleur des attentats du 11 septembre ne doit pas nous autoriser à les considérer comme des actes de folies tombés du Ciel… ou fomentés par le diable ! il faut oser se demander : pourquoi en sommes-nous arrivés là ?

Télérama - Que comprenez-vous de cet événement ?
Gamal Ghitany - Après la chute de l'Union Soviétique, les USA sont devenus la première puissance mondiale au moment ou le monde est devenu un village. Or, le devoir du maire d'un village est d'être fort, mais impartial sinon il réduit à la violence les groupes qu'il lèse ou opprime. Or, depuis des années, le maire n'est pas juste, particulièrement avec le monde arabe. Les Etats-Unis ont soutenu des dictatures, tout en alimentant, pendant un certain moment, le terrorisme même, jouant sur les deux tableaux et alimentant ainsi les guerres civiles et la misère dans certains pays. […] On a donc le sentiment que cette première puissance mondiale peut frapper n'importe qui, à n'importe quel moment, en toute impunité. C'est cela que j'appelle l'injustice.

Télérama - Vous êtes un écrivain de la rue cairote. Quelle a été la réaction de cette rue ?
Gamal Ghitany - Au début, certains ont exprimé un sentiment de victoire en voyant cette grande puissance ressentie comme une ennemie, frappée au cœur de ses symboles les plus puissants. Mais juste après, quand ils ont réalisé qu'il ne s'agissait pas seulement de tours, mais qu'il y avait des milliers de personnes civiles touchées, le sentiment s'est retourné. Même les gens de la rue ne sont pas contre le peuple américain ! Seulement, une fois que les Etats-Unis ont commencé à insister sur la responsabilité de l'islam et du monde arabe dans ce qui s'est passé, en généralisant à outrance, l'opinion du Caire s'est retrouvée massivement contre une entrée de l'Egypte dans la coalition occidentale pour une opération militaire.

Télérama - Qu'est-ce que cela veut dire, pour vous, être musulman ?
Gamal Ghitany - Je suis musulman comme vous êtes chrétienne. L'islam est une religion comme toutes les autres qui n'a rien en elle qui pousse à la violence, qui met un point d'honneur au respect des autres religions. Le Coran respecte Moïse et Jésus. Je ne dis pas que l'extrémisme n'existe pas ; il existe, mais ceux qui le subissent le plus, ce sont les musulmans eux-mêmes.

Télérama - De quoi est faite, si elle existe, la solidarité des musulmans entre eux ?
Gamal Ghitany - Il y a un sentiment de solidarité, mais il n'y a aucune unité religieuse pour autant. L'islam saoudien n'a rien à voir avec l'islam égyptien ou iranien, par contre, l'islamophobie qui se généralise en Occident, pourrait resserrer cette solidarité et encourager l'extrémisme que ce dernier prétend combattre.

Télérama - Quel est votre rôle d'écrivain dans cette guerre qui s'annonce ?
Gamal Ghitany - Je crains plus la guerre culturelle, l'appauvrissement de la pensée… Nous, écrivains, on ne peut pas prendre de décision militaire, heureusement, mais on peut inlassablement montrer la valeur du dialogue et de la différence. Lutter contre l'extrémisme, d'où qu'il vienne, contre le manichéisme, c'est un grand défi qui se pose non pas seulement à moi en tant qu'écrivain, mais à toute l'humanité…

 

 

   

Gamal Ghitany - son dernier roman : « Les Récits de l'institution » vient de paraître en français. Traduit de l'arabe par Khaleb Osman Edition du Seuil. 384 pages. 19,82 €.

   
   

 

   
 

Molly Lee…

   
   

Une Américaine en Bigorre…

Kiuchi a quitté sa Caroline du Sud pour retrouver de vraies valeurs qui n'existent plus aux Etats-Unis. Sur les événements qui ont ébranlé son pays, elle donne son avis…
Rencontre avec une artiste reconnue…

Elle trouve, en Bigorre, une qualité de vie dans un cadre naturel : « En France, les choses sont authentiques avec de vraies valeurs comme la famille et l'amitié. Aux U.S.A. ils vont trop vite et n'approfondissent rien. C'est "Business and money !" On court après la jeunesse et l'argent. En France c'est la qualité qui compte alors qu'en Amérique, seule la quantité est importante et en dehors, il n'y a pas grand-chose. »

Si l'on s'étonne de ses propos, Molly répond : « Vous avez l'idée du rêve américain, mais cette image de l'Amérique n'existe plus… ils perdent les vraies valeurs, ce qui crée un déséquilibre dans leur vie. »

Sur les événements du World Trade Center, Molly explique : « Pour le monde entier, c'était une surprise, mais les Américains connaissaient les menaces ; ils n'ont pas eu d'inquiétudes alors, car sûrs d'eux, ils se sentaient les meilleurs et donc se croyaient intouchables. Lorsque j'ai voulu prendre l'avion pour venir en France, des amis pilotes m'avaient conseillé de ne pas prendre la ligne "American Air Line". »

 

 

   

Site Internet : www.mollylee.com